segunda-feira, 5 de junho de 2017

dédoublements

  Je me suis toujours proposé d’expliquer de quelle façon j’avais écrit certains de mes livres (Impressions d’Afrique, Locus Solus, l’Étoile au Front et la Poussière de Soleils).
  Il s’agit d’un procédé très spécial. Et, ce procédé, il me semble qu’il est de mon devoir de le révéler, car j’ai l’impression que des écrivains de l’avenir pourraient peut-être l’exploiter avec fruit.
  Très jeune j’écrivais déja des contes de quelques pages en employant ce procédé.
  Je choisissais deux mots presque semblables (faisant penser aux métagrammes). Par exemple billard et pillard. Puis j’y ajoutais des mots pareils mais pris dans deux sens différents, et j’obtenais ainsi deux phrases presque identiques. En ce qui concerne billard et pillard les deux phrases que j’obtins furent celles-ci :
1° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard…
2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard.
Dans la première, « lettres » était pris dans le sens de « signes typographiques », « blanc » dans le sens de « cube de craie » et « bandes » dans le sens de « bordures ».
Dans la seconde, « lettres » était pris dans le sens de « missives », « blanc » dans le sens d’ « homme blanc » et « bandes » dans le sens de « hordes guerrières ».
Les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde.
Or c’était dans la résolution de ce problème que je puisais tous mes matériaux.
(...)
Raymond Roussel, Comment J'ai écrit certains de mes livres (1935), Gallimard, 1995, Incipit


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Foucault, M., Raymond Roussel, Gallimard, 1963, pp. 17 & 20

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Comment s'expliquer le "procédé"? Selon Michel Foucault, il existe dans le langage une sorte de distance essentielle, de déplacement, de dislocation ou d'accroc. C'est que les mots sont moins nombreux que les choses et que chaque mot a plusieurs sens. La littérature de l'absurde croyait que le sens manquait; en fait, ce qui manque, ce sont les signes.
Il y a dont un vide qui s'ouvre à l'intérieur d'un mot: la répétition du mot laisse béante la différence de ses sens. Est-ce la preuve d'une impossibilité de la répétition ? Non, et c'est là qu' apparaît la tentative de Roussel: il s'agit d'agrandir ce vide au maximum, de le rendre ainsi déterminable et mesurable, et de le combler déjà par toute une machinerie, par toute une fantasmagorie qui relie et intègre les différences à lá répétition. 
(...)
Roussel élabore de multiples séries de répétitions qui libèrent: les prisonniers sauveront leur vie par la répétition et la récitation, dans l'invention de machines correspondantes.

Deleuze, G., "Raymond Roussel ou L'horreur du vide", L'Île déserte et d'autres textes, Minuit, 2002, p. 103

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